François MAURIAC à la palombière

Publié le par Jacques GAYE

François Mauriac (1885-1970) : écrivain né à Bordeaux ; Prix Nobel de littérature en 1952 ; sa famille possédait des maisons à Gradignan, Langon, Saint-Symphorien, Villandraut, Saint-Maixant. Dans cette dernière commune, le domaine de Malagar a été acheté en 1843 par l'arrière-grand-père de François Mauriac. L'écrivain prit possesion de Malagar en 1927 et géra le vignoble pour y produire du vin blanc liquoreux "genre Sauternes".

Dans ses romans, nous découvrons parfois un auteur ethnologue. Nous avons eu plaisir à extraire de certaines de ses oeuvres, des citations (en italiques, ci-dessous) sur le monde des paloumayres tel qu'il existait dans le Sud-Gironde, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

 

 (photo effacée du blog : Le chalet de François Mauriac à Saint-Symphorien)

 

Le chalet de Jouanet où François Mauriac, enfant et adolescent, passait ses vacances. (cliché de Jacques Gaye)

 

La Chicane

Enfant et adolescent, François Mauriac passait ses vacances de Pâques et d'été dans le chalet de Jouanet, tout près du bourg de Saint-Symphorien.

La palombière familiale, citée dans Le Mystère Frontenac et Un adolescent d'autrefois, était située "A la Chicane", lieu-dit de Saint-Symphorien, non loin du quartier de Jouanhaut, près de la lagune de la Grande Téchoueyre, actuellement asséchée. "Notre chasse était rustique, plus que celle du cousin, beaucoup plus éloignée aussi, au fond d'une lande sauvage et perdue, sous des chênes très antiques ..." ; "... ce pays aride et où rien n'est vivant, hors les oiseaux qui passent, les sangliers nomades." ; "... landes fauves connues des seules palombes, des troupeaux et du vent." ; "... les palombes s'abattaient avec fracas dans les chênes."

Dans la région de Saint-Symphorien, d'autres palombières étaient installées dans des parcelles de pins. Thérèse Desqueyroux, du quartier d'Argelouse (Jouanhaut), en a visité une abandonnée : "Mais les pins, de ce côté, ont trop grandi pour qu'on y puisse guetter les palombes. Cette palombière ne pouvait plus servir car la forêt, alentour, cachait l'horizon ; les cimes écartées ne ménageaient plus ces larges avenues de ciel où le guetteur voit surgir les vols." 

C'est Mauriac qui fait entrer le mot "palombière" dans la littérature en 1927 ; le Littré ne connaissait que "palomière". Pour l'écrivain, une palombière est une cabane aménagée pour prendre des palombes au filet ; le "jouquet" est "un abri pour chasser au fusil les palombes" notamment celui de "Liogeats".

 

 (photo effacée du blog : Jouanhaut)

 

Le quartier Jouanhaut à Saint-Symphorien - "Argelouse" dans le roman "Thérèse Desqueyroux" - (cliché de Jacques Gaye)

 

François Mauriac

 

François Mauriac assis à gauche de la porte d'entrée de la palombière "La Chicane" (photo illustrant le livre "Itinéraires François Mauriac en Gironde" de Françoise Lalanne-Trigeaud ; source : Mme Jacques Fieux)

 

" La chasse à la palombe du cousin "

François Mauriac n'était pas paloumayre. "Chasseur, je ne l'ai jamais été. Adolescent, il m'importait peu que les palombes ne passent pas. J'avais (à la palombière) un livre dans ma gibecière, un Balzac presque toujours, d'une édition qui appartenait à mon père ..." Mais l'écrivain connaissait parfaitement la technique utilisée par les chasseurs de palombes des landes girondines. La description de la palombière de son cousin, à Préchac, nous le montre : "... dès la Saint-Michel, aux derniers jours de septembre, la chasse du cousin est prête, les appeaux en place sur les cimes, reliés à la cabane par un jeu de longues ficelles à portée de sa main." Le mode de chasse au filet est détaillé : "... le "sol" où tout est disposé pour attirer les oiseaux qui ont voyagé et qui ont soif. Du grain, de l'eau ... mais les perfides filets demeurent invisibles ... Par un tunnel reliant la cabane au "sol", une palombe appelée "poulet", préparée et dressée, mais surtout affamée, sera lâchée pour attirer les hésitantes ..." ; dans le même texte : "A peine les a-t-il fait poser, qu'il (le cousin) "coucourège", qu'il imite le roucoulement rauque de l'oiseau et il l'attire ainsi vers la captivité et vers la mort avec ce chant qui est un appel tendre et passionné."

 

img759[1] François Mauriac lisant à la palombière

 

Assis aux pieds des guetteurs, François Mauriac lisant. (photo illustrant le livre "Itinéraires François Mauriac en Gironde" de Françoise Lalanne-Trigeaud ; source : Mme Jacques Fieux)

 

Le " mal bleu "

Avec les premiers vols de palombes, le "mal bleu" se répand dans toute la région. Les résiniers et les bergers arrêtent leur activité. "Les pins ne sont plus blessés ni la résine recueillie parce que les palombes passent. Les bergers eux-mêmes délaissent les pacages familiers à cause des piétinements, des bêlements et des clarines qui détourneraient les oiseaux de s'abattre dans les chênes." Près des palombières, les agriculteurs annoncent les vols en criant aux paloumayres de "semérer" (actionner les appeaux). "Des voix lointaines s'élevèrent qui criaient "Seméro ! Seméro !". Dans la campagne, d'autres voix leur répondirent, et de tous les champs où les paysans travaillaient encore, de tous les seuils où ceux qui étaient entrés, attendaient sous la treille l'heure de la soupe, le même cri jaillit, ce cri qui annonce au chasseur le passage d'un vol : Seméro, Seméro ..." De même, les vendangeurs sur les coteaux de Malagar saluaient par ces "cris traditionnels, à la mi-octobre, les palombes qui passaient très bas, par petits groupes". Cette dernière scène est relatée par le fils de François Mauriac, Jean.

 

Le guetteur

Le rôle du guetteur à la palombière est aussi évoqué par l'écrivain. "A la palombière de la Chicane, par ces temps brumeux et doux, un jour qui devrait être de grand passage ... Prudent Duberc surveille entre les cimes ces avancées de ciel par où les vols surgiront." ; "... à l'approche du vol, il (le chasseur) fait le signe du silence."

Les femmes participaient à la chasse de la palombe : "Cette pèlerine délavée a une poche profonde : tante Clara y rangeait son tricot, du temps qu'elle aussi, dans un "jouquet" solitaire, guettait les palombes."

L'installation de chasse à la palombe demande un temps de préparation : "Durant les mois d'hiver, il (le cousin) a taillé lui-même en charmille les petits chênes qui pourraient gêner la vue du guetteur ..."

 

L'oeil exercé du chasseur

"S'il lève les yeux, c'est que l'heure est venue d'interroger le ciel lorsque le ciel devient la route où vont poindre les premières bien-aimées."

 

img757[1] Guetteurs

 

Guetteurs à la "ouèyte" de la palombière "La Chicane", vers 1909. (photo illustrant le livre "Itinéraires François Mauriac en Gironde" de Françoise Lalanne-Trigeaud ; source : Mme Jacques Fieux)

 

La passion du paloumayre

"Les palombes ne sont pas là encore. Mais le cousin est un amoureux qui arrive le premier au rendez-vous. Il arrive longtemps d'avance et ne s'ennuie pas ; attendre ce qu'on aime, c'est déjà le posséder." Cette dernière phrase se trouve inscrite dans la tour de la palombière "La Toulouse" à Saint-Léger-de-Balson, près de Saint-Symphorien (désignée par "La Tolose" dans Un adolescent d'autrefois). Etienne Martin, propriétaire de cette installation, a d'ailleurs fixé d'autres panneaux sur lesquels nous pouvons lire des citations de l'écrivain au sujet de la palombe.

 

img760[1] François Mauriac à la Toulouse

 

François Mauriac dans la palombière "La Toulouse", dans les années 1960. (photo illustrant le livre "L'Aquitaine de Mauriac" de Michel Suffran). Au retour d'une de ses visites à "La Toulouse", la mère d'Etienne Martin lui a servi, à Préchac, un plat d'ortolans.

 

Quand les palombes passent-elles ?

François Mauriac interroge en patois gascon : "A passat paloumbes ?" (Est-il passé des palombes ?)

L'arrivée des premières migratrices annonce la fin des incendies dans le massif forestier : "Les palombes, sous le trouble azur du mois d'octobre, sont le signe qu'est fini le déluge de feu."

"Cette chasse à la palombe d'avant le 15 octobre, et où je ne vois prendre aucune palombe ..." Les palombes passent plutôt à la fin du mois : "C'est saint Luc, le 18 octobre, qui préside au grand passage. Mais mon cousin le chasseur a plus confiance en saint Simon ... dont la fête est célébrée le 28."

 

Les appeaux

François Mauriac n'a pas utilisé le terme "appelants" pour désigner les palombes servant de leurres à la palombière. Surprenant, dans le roman Le Mystère Frontenac, l'appeau est une jeune femme : "Et à côté de Jean-Louis, la belle femelle (Madeleine Cazavielh) qui avait servi d'appeau ..."

Les appeaux du cousin de l'écrivain sont les premières palombes prises au filet, "ces palombes rôdeuses des premiers jours sont des isolées, des téméraires parties en avant-garde." François Mauriac a évoqué une méthode cruelle pour utiliser des palombes comme appeaux ; dans Le Mystère Frontenac : "Et là-bas, au pays des Frontenac et des Péloueyre ... Au fond de la cabane, abandonnée par le chasseur jusqu'à l'aube, les palombes aux yeux crevés et qui servent d'appeaux, s'agitaient, souffraient de la faim et de la soif." ; dans Thérèse Desqueyroux : "Bientôt, il faudrait s'occuper des appeaux, leur crever les yeux."  Dans un de ses Blocs Notes, il donne des précisions : "Oserais-je dire ce que le paloumayre faisait des appeaux et que pour leur crever les yeux, certains chasseurs les aspiraient avec leur bouche ? Je ne l'ai pas vu faire : de mon temps, on fermait les yeux des appeaux avec une aiguille ou une agrafe." Cette pratique a disparu depuis longtemps ; actuellement, les palombes-appeaux sont aveuglées par une "clumette" (ou "casque") fixée sur leur tête.

Les soins apportés aux appeaux et la volière à palombes : "Le soir ... c'est l'heure où le cousin descend ses appeaux, les fait boire, les gorge ..." ; "A Saint-Symphorien quand j'avais quatre ans, mes vacances se passaient dans une cour ... dans laquelle se trouvait ... la volière où étaient les palombes prises au dernier automne et conservées comme appeaux."

 

Les prises au filet

A Villandraut, Etienne Martin possède, dans ses archives, un inventaire de maison landaise dans lequel le filet est appelé "ret".

Le soir, les palombes sont plus faciles à prendre : "Ainsi nous prenions les palombes après le coucher du soleil lorsque arrivées au bout de leur effort, elles s'abattent dans les vieux chênes ... le vol hésitant et lourd de palombes baisse ... Oui, il baisse, il va se poser, vous n'avez qu'à étendre la main."

Combien en prenait-on du temps de François Mauriac ? "Il (Jean de Mirbel) a pris cent quarante sept palombes." L'écrivain protesta contre "l'autorisation en Gironde de ce massacre" des tourterelles au printemps. Quant aux tableaux de chasse des paloumayres, il pensait "qu'il faudrait être bien hypocrite pour répandre des pleurs sur quelques palombes prises au filet."

 

 (photo effacée du blog : Ajouc du soir à Jouanhaut)

 

"Ajouc" du soir de palombes dans les pins de Jouanhaut - "Argelouse" dans "Thérèse Desqueyroux" - (cliché de Jacques Gaye)

 

Le chercheur de champignons

" ... Vers onze heures, il y a eu un vol magnifique, mais Monsieur (le propriétaire du bois) cherchait les cèpes autour de la cabane ... Nous avons sifflé pour qu'il se mette à plat-ventre ... Naturellement, il n'a rien compris au signal, nous lui avions pourtant expliqué."

 

" Palombière / Sifflez "

L'approche du visiteur de la palombière doit être signalée. "Jean Péloueyre se cachait et sifflait de peur qu'un vol de palombes ne fût en vue. Le petit-fils de Cadette criait qu'on pouvait approcher."

THérèse Desqueyroux a aussi précisé le code : "Il faut s'arrêter, siffler, attendre que le chasseur, d'un cri, vous autorise à repartir ; mais parfois un long sifflement répond au vôtre : un vol s'est abattu dans les chênes ; il faut se tapir pour ne pas l'effaroucher."

 

La palombière, lieu de rendez-vous

"Mathilde et Gabriel s'étaient retrouvés dans le "jouquet" comme des enfants qui depuis toujours passent leurs vacances dans la même campagne : simplement, ils demeuraient épaule contre épaule ..."

Dans Thérèse Desqueyroux, Anne de la Trave rejoignait Jean Azévédo "dans une palombière abandonnée entre Saint-Clair et Argelouse".

 

" La malveillance "

La palombière de la famille Mauriac était située sous des chênes "qu'ont anéantis les derniers incendies "dus à la malveillance" : les hommes assassinent aussi les arbres."

 

La convivialité à la palombière

"Il pleut sur les chênes ... le chuchotement indéfini ajoute encore à l'isolement de cette lande perdue. J'ai la ressource de la minuscule salle à manger construite en bois de pin et revêtue de fougères, de sorte qu'elle se confond avec la cabane et n'effraye pas les palombes. Elle est pourvue d'une cheminée où Laurent venait faire cuire les alouettes qu'il avait tirées dans le champ de Jouanhaut."

 

img758[1] Repas à la Chicane

 

Repas à la palombière / François Mauriac buvant derrière sa soeur, Mme Fieux. (photo illustrant le livre "Itinéraires François Mauriac en Gironde" de Françoise Lalanne Trigeaud ; source : Mme Jacques Fieux)

 

Le retour du paloumayre à la maison

"Jean Péloueyre jetait sur la table de la cuisine des palombes ardoisées au cou encore gonflé de glands. Ses souliers fumaient devant le feu : il sentait sur sa main la langue tiède d'une chienne. Cadette, la vieille servante, trempait la soupe."

Après avoir soufflé dans les plumes du poitrail de la palombe tuée, le paloumayre pouvait savoir si elle était "bien grasse".

L'épouse est heureuse de retrouver son chasseur : "Noémi le guettait, la lampe haute et venait à lui avec un sourire d'accueil, lui tendait son front, soupesait la carnassière."

"Bernard (Desqueyroux), au fond de la cuisine, enlevait ses bottes, racontait en patois les prises de la journée. Les palombes captives se débattaient, gonflaient le sac jeté sur la table ..." 

 

La gastronomie

Martine, la vieille servante fidèle du domaine de Castelnau, avait des remords en se souvenant d'un "jour où ses poulets de grain ne furent pas assez cuits et où elle oublia de flamber ses palombes."

 

Les souvenirs

Pendant la guerre de 39-45, sur la ligne Maginot, François Mauriac se souvient : "S'il n'y avait pas eu les grenades toutes prêtes à chaque créneau, j'eusse pensé aux chasses à la palombe de mon enfance : mêmes couloirs, mêmes meurtrières, même plainte du vent dans les branches ..."

 

 

Jacques GAYE, paloumayre à Escoussans,

en Pays de Benauge (région de l'Entre-deux-Mers

citée par François MAURIAC dans La Chair et le Sang et dans Destins

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

* " Thérèse Desqueyroux " de François MAURIAC (Grasset, 1927)

* " Le Mystère Frontenac " de François MAURIAC (Grasset, 1933)

* " Mémoires intérieurs " de François MAURIAC (Flammarion, 1959)

* " L'Aquitaine de Mauriac " de Michel SUFFRAN (Edisud, 1983)

* " Itinéraires François Mauriac en Gironde " de Françoise LALANNE-TRIGEAUD (Centre François Mauriac de Malagar / Les Amis du Bazadais) - éditions confluences, 1994 -

* " Mauriac Malagar " (ouvrage collectif) (Centre François Mauriac de Malagar) - éditions confluences, 1997 -

* " François Mauriac ethnologue aquarelliste des Pays Aquitains " de Philippe Marc DUFAURE (préface de Jean MAURIAC) - Les Dossiers d'Aquitaine, 2002 -

* " De l'influence de la langue gasconne dans les écrits de François Mauriac " de Jean BONNEMASON (Editions PyréMonde / Princi Negue, 2006) 

 

 

Une grande partie de l'article ci-dessus est dans le numéro 32 de la revue " Palombe & tradition "  - automne 2011 -  pages 36, 37, 38.

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Francois Mauriac Arthur Sanfourche dont son fils est Jean-Joseph Sanfourche fut un artiste important, proche de Jean Dubuffet pendant presque 18 ans . 500 de ses dessins se trouvent au Musée de l’Art Brut de Lausanne. Il fut ami ami avec : Robert Doisneau, Marcel Jouhandeau, Anatole Jakovsky, Gaston Chaissac, Françoise Giroud. Arthur Il était le fils de Joseph Sanfourche, originaire de Dordogne et de Françoise Mauriac (cousine de François Mauriac).
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